…C’était un vagabond, il tutoyait Dieu et les étoiles. Il habitait dans sa veste avec pour annexe sa besace. Cette vieille sacoche plus âgée que lui l’accompagnait à chacun de ses pas, presque. Il était l’un de mes plus proches amis, il est mort, comme il a vécu, sans rien dire à personne. Il passait la nuit chez moi ce jour-là, un dimanche, comme notre Seigneur disait-il, je me repose après 6 jours de marche. Il ne restait jamais, ne s’arrêtait nulle part, jamais, sauf le samedi. Quelque soit l’endroit où ses pas le menaient, il ne partait que le lundi matin, tôt. Il était ainsi. Il ne s’annonçait jamais, et toujours quand il passait me trouvait. Je mentirais si je prétendais l’attendre, je regardais parfois la pendule au mur et tristement me disais, minuit et quart, il ne passera plus….
...Alors, je me dirigeais vers la chambre à coucher, triste et soulagé à la fois. Cette contradiction s’explique aisément. Peut-être pensez-vous que je l’enviais sa vie et lui ? Pas du tout. J’aime trop mon confort et ma routine. Certains disent qu’ils se sacrifient, moi j’ai fait des choix, c’est tout. Mais lorsqu’il était là, tout était différent. On eut dit qu’il colorait l’atmosphère du bout du doigt. Comment expliquer un phénomène que l’on perçoit seulement lorsqu’on n’est plus acteur. Que l’on ne peut entrevoir qu’au travers les persiennes du souvenir, quand les images sont plus floues. Lorsque le phantasme se superpose, calque transparent, au souvenir que l’on protège jalousement de peur que l’oubli n’en ait la garde exclusive. Et quand bien même, en spectateur averti, si l’envie me prenait d’observer plus attentivement cette inexprimable interaction, mon attention un instant se dissipait et, trop tard. Je lâchais prise, je m’abandonnais, mes bonnes résolutions s’évanouissaient pour que le lâcher prise m’envahisse complètement et que la réalité s’approche un peu, beaucoup parfois, du monde du rêve...